La liberté est un combat, non une habitude. C’est l’une des intuitions les plus profondes qui se dégage de la pensée de Raymond Aron, livrée dans le diagnostic qui clôt de manière magistrale le premier exposé de l’Essai sur les libertés : La société industrielle dans laquelle nous vivons « n’est libérale que par tradition ou survivance ».
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Raymond Aron est mort il y a cinquante ans, le 17 octobre 1983, dans un monde où prévalait encore la guerre froide, où la moitié de l’Europe était sous l’influence directe de l’URSS et où la croissance euphorique produite par la société industrielle venait de recevoir avec la crise pétrolière un premier coup de semonce. François Mitterand était au pouvoir depuis deux ans, une révolution économique, sociale et culturelle était en marche, que le tournant de la rigueur en 1983 allait interrompre. Mais déjà, Raymond Aron signalait avec prescience le paradoxe qui résume encore l’état des libertés dans notre société : plus de droits variés et sectoriels et moins de libertés fondamentales.
Depuis un demi-siècle, des droits nouveaux et des capacités d’agir ont été accordés aux individus. Il est aujourd’hui possible en France de se marier entre hommes ou entre femmes, de créer une entreprise en un clic, de divorcer sans juge et de fumer du cannabis sans risquer la prison. Et pourtant, le fait que de tels droits sont acquis n’empêche pas que les libertés les plus fondamentales comme la préservation d’une vie privée, la possibilité de circuler anonymement dans l’espace public, de n’avoir ni à rendre de compte de ses opinions ni à être contraint de penser en conformité avec les courants de pensée dominants, sont de plus en plus menacés. De même, l’autonomie de chacun et sa responsabilité personnelle sont amoindries, ce qui entrave sa capacité de définir librement son rôle dans la vie économique et sociale.
Les raisons de l’effritement de nos libertés sont multiples, elles vont de l’évolution des pratiques politiques (plus de centralisation et de présidentialisation, moins de parlementarisme) à l’impact des réglementations qui veulent encadrer tous les aspects de notre vie, et tendent de ce fait à déresponsabiliser les individus, acteurs sociaux et citoyens, par rapport aux différents engagements qui rendent concret le souci de la chose publique. Mais elles sont aussi dues aux effets produits par les évolutions de grande ampleur, sociales, culturelles, technologiques, à l’œuvre dans les sociétés contemporaines.
La solitude qui fut celle de Raymond Aron, au moins durant les décennies où dominait en France une idéologie politique se réclamant du marxisme et du communisme, est une donnée de sa vie entière. Journaliste réputé, universitaire reconnu au sein des institutions académiques les plus prestigieuses, il a incarné une voix relativement isolée parmi les intellectuels de son temps, lui qui disait de lui-même « Comme d’habitude, je n’étais pas d’accord. Donc je suis restée solitaire » et, ajoutait-il, « sans grande chance de pouvoir m’exprimer et d’être écouté ».
Dans le recueil publié ces jours-ci par le think tank libéral GenerationLibre, que j’ai l’honneur de présider, on trouvera un témoignage de ce que lui doivent les libéraux français d’aujourd’hui. On pourra y lire des contributions d’historiens, philosophes, politistes et personnalités politiques qui, à partir de perspectives différentes, s’interrogent sur la nature et la portée de son libéralisme pour l’époque actuelle.
Raymond Aron, engagé dans le combat contre les totalitarismes depuis la fin des années 1930 (combat qui se prolongea par la fondation du Congrès pour la liberté de la culture qui se réunit pour la première fois à Berlin en 1950, avec Arthur Koestler, Manès Sperber, Bertrand Russell, puis David Rousset et François Bondy), est mort trop tôt pour assister à l’effondrement progressif, on pourrait dire à l’affaissement, du monde communiste.
Toutefois, on peut imaginer l’exaltation incrédule qui aurait été la sienne à voir disparaître si facilement, si rapidement, les régimes de terreur alors établis dans l’Est de l’Europe, sous la vague immense de sociétés entières qui s’avançaient silencieusement contre le totalitarisme d’État. Aurait-il vu, entre le printemps et l’hiver 1989, les Hongrois franchir en voiture la frontière avec l’Autriche après que les gardes-frontières ont cisaillé les barbelés, les Allemands des Länder de l’Est manifester silencieusement à Leipzig et à Berlin et les habitants de la ville de Timisoara en Roumanie se regrouper de plus en plus nombreux sur la place centrale de la ville, il aurait sans doute été emporté par la même exaltation qu’a ressentie ma génération, celle d’une jeunesse libérale engagée dès l’adolescence dans la lutte contre tous les régimes qui asservissent l’individu. Mais sa lucidité exigeante, sa perspicacité intellectuelle l’auraient vite dissuadé de reconnaître dans ces événements extraordinaires l’accomplissement d’une compréhension providentialiste de l’histoire qui ferait triompher la liberté et annoncer le règne sans partage de la démocratie libérale, de l’économie devenue mondiale et de la paix universelle.
Instruit par celui qui fut son ami et son maître, Elie Halévy, Raymond Aron, dès la fin des années 1930, n’a cessé de rappeler que les hommes n’en ont jamais fini avec la tragédie. Car la conflictualité politique n’est pas vouée à se dissoudre dans l’adhésion à la démocratie, et l’homogénéisation culturelle et technologique du monde peut aussi fournir un terreau propice au développement de revendications identitaires d’une force inouïe, surtout quand les passions de rivalité, de ressentiment ainsi que le désir fanatique de reconnaissance peuvent nourrir des conflits indéfiniment renouvelés et perpétuellement justifiés dans un passé de colonisation et de domination.
Dans nos sociétés, les inégalités économiques et clivages sociaux se conjuguent pour alimenter des fractures identitaires et faire douter de la possibilité d’un projet politique commun dans un cadre national. Pour y remédier, l’État veut se présenter en recours capable de garantir la cohésion de la société, quitte à réduire l’autonomie sociale. Parallèlement, la personnalisation accrue du pouvoir politique, qui tend à substituer le face-à-face entre le président et le peuple à la logique des représentations et médiations propre à la démocratie parlementaire, enraye le fonctionnement d’une démocratie libérale dont la vigueur et l’intelligence devraient être vivifiées par les multiples engagements des citoyens.
Enfin, la culture contemporaine dépendante des outils numériques d’information et de communication s’inscrit dans une socialité de réseaux, de partage et de virtualité qui affecte les contours de l’individualité et les notions de vie privée qui sont au coeur de la pensée libérale. On assiste aujourd’hui à des tentatives d’hégémonie sur la parole publique dans le but d’imposer à tous ce qu’il faut dire et ce qu’on doit taire, dans une stratégie de conquête des médias et des réseaux sociaux. La liberté d’expression semble dès lors prise en otage entre, d’un côté, des courants qui se réclament d’un progressisme dogmatique, ne supportent pas la discussion, encore moins la contradiction, et qui veulent seuls définir ce qu’est la parole libre et, de l’autre côté, la revendication d’une parole libérée qui, faux-semblant de la liberté d’expression, prospère à la limite du racisme.
Dans un tel contexte, peut-on seulement espérer qu’il restera toujours assez d’habitudes libérales dans nos sociétés pour empêcher qu’un mouvement populiste n’arrive au pouvoir à brève ou moyenne échéance ? À la fin de La Démocratie en Amérique, Tocqueville évoquait le despotisme doux, autrement dit une évolution possible de la démocratie où les citoyens seraient « comme un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger ». L’injonction de Raymond Aron : restaurer la liberté politique dans toute sa richesse d’engagements publics, est sans doute le meilleur antidote à ce sombre avenir.
Raymond Aron n’a cessé de montrer combien le libéralisme était une politique de l’incertitude, sans illusion sur l’homme, mais aussi un engagement de l’intelligence, « sans euphorie, disait-il, ni tiède ni facile, pas fait pour les âmes tendres ».
GenerationLibre publie un recueil de contributions en hommage au grand philosophe libéral disparu il y a quarante ans, « Raymond Aron, l’actualité de sa pensée 40 ans après sa mort ».
*Monique Canto-Sperber est philosophe, ancienne directrice de l’ENS (Ulm) et première présidente de Paris Sciences Lettres, directrice de recherche au CNRS. Elle est présidente de GenerationLibre depuis 2022.
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