L’un n’est pas l’autre. On les rencontre à tour de rôle, dans leur appartement parisien, pour évoquer leur couple. Elle : voix grave, tout en noir, silhouette déliée. Lui : chemise blanche, diction traînante, gestuelle saccadée. Sylvie Topaloff et Alain Finkielkraut ont accepté de parler d’eux, comme pour se rendre un mutuel hommage. Leur hantise commune est de passer pour un couple modèle. Dans « Pêcheur de perles », le philosophe part de citations d’écrivains pour poursuivre sa réflexion sur l’école, l’Europe, le féminisme.
L’auteur d’« Et si l’amour durait » (éd. Stock, 2011) ouvre son recueil en évoquant, à la première personne, les débuts de son histoire d’amour avec son épouse. « J’ai voulu réhabiliter l’admiration comme modalité du couple et prolonger ma discussion avec Proust : l’amour n’est pas une projection. Il ne rend pas aveugle, il peut aussi ouvrir les yeux. Je suis pessimiste sur l’état du monde et l’évolution de la société mais, en amour, j’ai eu raison de l’entropie et de l’usure temporelle. Mon cœur est immortel. Je connais les surprises de la vie privée. On est désespéré et, malgré ce désespoir, on est heureux. »
Elle est la moins connue des deux. Sylvie Topaloff est la fille d’un architecte, réfugié bulgare ayant fuit le communisme, et d’une mère dont le père est juif d’origine russo-polonaise. Elle a un frère psychiatre. Après avoir été spécialiste du droit de la famille, Sylvie Topaloff crée en 1996, avec Jean-Paul Teissonnière, un cabinet d’avocats. Elle est du côté des victimes, dans des dossiers emblématiques : scandale de l’amiante, essais nucléaires de l’armée française, explosion de l’usine AZF, affaire Mediator, attentats du 13 novembre 2015.
Il a été un soutien, un appui, et j’ai eu plus besoin que lui de soutien et d’appui
Sylvie Topaloff
« Alain vient souvent m’écouter plaider. Quand il est là, il y a une touche de pression supplémentaire. Son regard m’importe. Je veux être à la hauteur. Je ne lui dois rien sur le plan professionnel, mais il m’a donné des ailes. Il a été un soutien, un appui, et j’ai eu plus besoin que lui de soutien et d’appui. »
Le procès du Bataclan a été extrêmement dur en matière d’émotions, d’investissement, de travail. L’avocate réputée confie son admiration pour les anciens ténors du barreau Hervé Temime et Georges Kiejman. Quand elle a rencontré Alain Finkielkraut, elle était déjà mère d’une petite fille de 3 ans portant son nom de jeune fille. Sylvie Topaloff aura également un fils avec Alain Finkielkraut. L’avocate a conservé son patronyme. « Du coup, à table, il y avait deux Topaloff et deux Finkielkraut. » Les enfants ne suivront pas la voie de leurs parents. Anna Topaloff est journaliste et Thomas Finkielkraut est scénariste.
Dans leur couple, aucun des deux n’a reproduit le modèle parental. Alain Finkielkraut est fils de réfugiés polonais ayant fui la montée de l’antisémitisme. Ses parents formaient un couple traditionnel. « Mes parents étaient apeurés et menaient une vie casanière. Ma mère aimait mon père, un homme adorable, mais elle ne trouvait pas en lui l’esprit d’aventure qui aurait pu lui ouvrir l’horizon. Quand elle faisait des propositions, il répondait d’abord par la négative. Je me suis fait la promesse de toujours être partant. Je suis fatigué, j’ai envie de me dérober, je pense alors à mon père et je dis “oui” presque systématiquement. »
La sortie de l’orbite maternelle a été une libération et j’ai été heureux de vivre l’amour autrement avec ma femme
Alain Finkielkraut
Alain Finkielkraut est fils unique. « Mes parents m’ont porté. Quand j’ai raté la Rue d’Ulm, en 1968, ma mère était si triste qu’elle faisait la tête même à ses amis. J’ai préparé le BEPC pendant trois mois et je n’ai pas dormi la veille de mon baccalauréat. J’ai bénéficié de l’amour maternel, mais ma mère était étouffante. Elle a souffert de mon autonomie grandissante car j’ai répondu à l’appel du dehors. L’enfant est par définition ingrat. La sortie de l’orbite maternelle a été une libération et j’ai été heureux de vivre l’amour autrement avec ma femme. » Les parents de Sylvie Topaloff sont restés ensemble jusqu’au bout. Sa mère est toujours en vie.
Eux-mêmes, quels parents sont-ils ? Ils reconnaissent qu’il a été difficile pour Thomas Finkielkraut, né en 1988, de porter le nom de son père. Alain Finkielkraut : « On jugeait Thomas à partir de son patronyme, avant même de le connaître. Était-il aussi rétrograde que son père ? Il voulait échapper à ses parents, à l’un et même à l’autre. Il a trouvé sa voie et je lui tire mon chapeau. J’ai passé outre l’idée de l’embarrasser avec mes prises de position. Je prends mes responsabilités. Mais ma liberté s’arrête là où commence celle de mon fils. Dans “Pêcheur de perles”, j’ai retiré le nom d’un comédien pour ne pas le gêner professionnellement. Nous avons eu des rapports conflictuels durant son adolescence, mais l’un des bonheurs de ma vie est que mon fils soit devenu un ami. »
Quand je lis, je suis inatteignable. Alain peut cogner à ma porte, je n’ouvre pas
Sylvie Topaloff
Sylvie Topaloff a jonglé entre enfants, mari, travail. « J’ai été une mère trop occupée et je le regrette. Je pensais que j’allais être mère toute ma vie, alors que la cohabitation avec les enfants ne dure pas si longtemps. J’ai manqué des choses, non par volonté de mener carrière, mais par souci de bien faire mon métier. Je rentrais tard le soir, j’étais souvent en voyage, j’étais accaparée par mes dossiers. Je n’ai jamais eu une seule remarque de la part d’Alain. On ne s’est jamais demandé lequel de nous deux devait sacrifier sa vie professionnelle. Je suis une fille de Mai 68 : je me suis battue pour le droit à l’avortement et je voulais être indépendante. »
Leur couple a bénéficié des avancées de la société. Alain Finkielkraut : « Mais nous ne sommes pas modernes puisque la modernité c’est la volatilité. Nous sommes un couple anachronique. Quand son mari a pris sa retraite, la mère de Philip Roth a confié à une amie : “Je me suis mariée pour le meilleur et pour le pire, mais pas pour les déjeuners.” On ne déjeune pas ensemble. Nous sommes un couple renversé. Je ne suis pas une “desperate housewife” mais un “househusband” ravi. Sylvie n’a pas les clés de l’appartement. Elle sonne en bas car je suis toujours là. Elle va dans le monde, je reste à la maison. On a un quant-à-soi, mais on fait compte commun. »
On peut se disputer pour des raisons idéologiques mais, sur l’essentiel, on est d’accord
Alain Finkielkraut
Leur humeur n’est pas la même en fin de journée. Alain Finkielkraut : « J’ai toujours envie de parler. Elle s’assoit pour lire, je lui dis des mots gentils, mais elle ne me répond même pas. La culture n’est pas le lien social. C’est l’art de la déliaison. On rompt avec le monde pour se plonger dans un livre. » Sylvie Topaloff en convient : « Quand je lis, je suis inatteignable. Alain peut cogner à ma porte, je n’ouvre pas. C’est la différence de nos vies professionnelles. Lorsque j’arrive, j’ai vu des gens toute la journée, j’aspire au calme et lui au monde. »
Ils discutent plus qu’ils ne se disputent. Alain Finkielkraut : « Sylvie ne critique pas mes livres mais mes prestations médiatiques. Quand elle est contente, elle me dit que j’ai été “exceptionnel” et quand elle est mécontente que j’ai été “formidable”. Là, je sais que j’ai été mauvais. » Ils font front commun contre les polémiques, mais elle lui reproche sa trop grande présence médiatique et son admiration indéfectible pour Renaud Camus. Le théoricien du « grand remplacement » ne trouve pas grâce à ses yeux. Sylvie Topaloff : « Je l’ai lu, donc Alain ne peut pas me reprocher de parler de ce que je ne connais pas. »
Dans l’ensemble, du féminisme à Israël, ils pensent la même chose. Alain Finkielkraut : « On peut se disputer pour des raisons idéologiques mais, sur l’essentiel, on est d’accord. Comment vivre avec quelqu’un qui soit extérieur au souci qui est le mien ? Je suis porté non par la vérité, mais par ce que je crois être la vérité. Je refuse de me soumettre aux injonctions de la doxa. Je ne vis pas encore dans un climat où l’on meurt pour ses idées. Le seul courage dont je dois faire preuve est de défendre ce que je pense à mes risques et périls. Je n’ai pas des opinions, mais des convictions. J’ai un rapport affectif aux idées. Peut-être est-ce une faiblesse de ma part. L’idée relève chez moi autant de l’affect que de l’intelligence. » Sylvie Topaloff : « Un jour, en vacances, devant toute la famille, Alain a dit : “J’ai de la chance de ne pas avoir épousé une intellectuelle.” » Les deux enfants étaient outrés. Elle a éclaté de rire.
Il ne sait pas comment se tenir dans les cocktails, il n’a pas les codes de la vie en société
Sylvie Topaloff
Se ressemblent-ils ? Ils ont fait leur premier voyage ensemble dans le contexte de la guerre du Liban. Elle y allait en observation pour France terre d’asile et lui par intérêt. Les deux jeunes gens se connaissaient à peine. Leurs parents les ont accompagnés à l’aéroport. Arrivée à l’hôtel, Sylvie Topaloff n’a pas osé avouer à Alain Finkielkraut qu’elle devait aussitôt appeler ses parents pour leur annoncer qu’elle était bien arrivée. Elle est descendue en catimini dans une cabine publique. Il était dans celle d’à côté, en train lui-même de rassurer sa mère.
Sylvie Topaloff : « Nous étions les enfants choyés de parents anxieux. » L’avocate n’a pas le pessimisme de l’académicien. « Alain arrive à me convaincre que la situation est pire que ce que je pensais. Il a connu des épisodes de dépression, mais il a une envie de vivre persistante. On a beaucoup de choses en commun, mais il y a aussi derrière nous quarante ans de vie commune. » Quelque chose du domaine de l’adolescence et de la luminescence traverse leur couple.
Comment vieillir ensemble ? Sylvie Topaloff : « Les lieux communs sur la vieillesse sont tous vrais. Les défauts s’aggravent. Je n’en reviens pas que l’on soit si caricaturaux. Il est de plus en plus impatient et moi de plus en plus susceptible. Nous sommes tous les deux emportés. Je reste plus sociable que lui. Alain est timide et je ne le suis pas. Il ne sait pas comment se tenir dans les cocktails, il n’a pas les codes de la vie en société.
J’ai compris que le temps était compté, que la maladie pouvait s’emparer de lui ou de moi, qu’il n’y avait pas une seconde à perdre
Sylvie Topaloff
Le “small talk” lui est inconnu. Son obsession : il ne veut pas d’apéritif. Il déteste ce temps intermédiaire où l’on suçote des cacahouètes. Il veut passer directement à table et que l’on entre dans le vif de la conversation. Je suis surprise de voir à quel point nous sommes peu invités. Sans doute à cause d’Alain qui a une réputation de rabat-joie. Les gens doivent se dire qu’on est ennuyeux à mourir. On passe beaucoup de temps dans notre canapé à lire. » Elle rit.
Alain Finkielkraut a été gravement malade. Sylvie Topaloff : « J’en suis sortie différente alors qu’il est resté le même. J’ai compris que le temps était compté, que la maladie pouvait s’emparer de lui ou de moi, qu’il n’y avait pas une seconde à perdre. Je ne me plains plus des petits tracas du quotidien. Alain n’a pas eu conscience de la gravité de ce qu’il avait traversé, et moi j’ai pris conscience comme jamais de la fragilité de la vie. L’âge venant, il y a le risque de l’enfermement. On va beaucoup au cinéma, au théâtre, dans les expositions. J’aimerais sortir tous les soirs à 20 heures. Le temps est compté. Je souhaite ne rien rater de la vie. Alain ne veut pas être le plus vieux du couple, alors il ne répond jamais non. »
Je l’ai rencontré à l’âge de 29 ans. Il était envahissant. Je ne cessais de peser le pour et le contre
Sylvie Topaloff
La veille de notre rencontre, ils sont allés à l’Opéra et sont partis à l’entracte. Ils avaient vu peu de temps auparavant le « Stabat Mater », aux Bouffes du Nord, et s’étaient aussi éclipsés à l’entracte. Ils ont croisé à chaque fois les mêmes amis qui leur ont demandé s’il leur arrivait de rester jusqu’au bout d’un spectacle. Ils sont tous deux excessifs dans leurs goûts et dégoûts. Ils ont vu le film « Tar », de Todd Field, deux fois la même semaine. Ils ont en commun une passion pour « Vie et destin » de Vassili Grossman et « Scènes de la vie conjugale » d’Ingmar Bergman.
Ils ont commencé à se fréquenter en 1982, en militant pour Michel Rocard, et se sont mariés en 1985, dans la mairie du Ve arrondissement de Paris. Sylvie Topaloff : « Je l’ai rencontré à l’âge de 29 ans. Il était envahissant. Je ne cessais de peser le pour et le contre. On avait des vies riches et encombrées et il fallait se faire l’un à l’autre. Tout a mis du temps à se mettre en place mais, à un moment, je me suis rendu compte qu’il était un homme extraordinaire. »
Je lui répète sans arrêt que si je ne l’avais pas rencontrée, je serais un clochard
Alain Finkielkraut
Nous sommes en 1985, au mois de juillet. Alain Finkielkraut est en Israël pour un colloque. Sylvie Topaloff le rejoint là-bas et Alain Finkielkraut vient la chercher à l’aéroport. La veille, il est passé à la télévision israélienne. Le journaliste lui a demandé s’il pourrait épouser une non-juive ? Il a répondu que la femme aimée était à moitié juive, que sa mère avait porté l’étoile jaune durant la guerre, qu’il serait heureux qu’elle accepte de l’épouser. Sylvie Topaloff n’est au courant de rien. Sur le chemin du kibboutz, les deux amoureux se retrouvent à un arrêt d’autobus, comme cernés par le désert. Tout d’un coup, un homme surgit de nulle part, avec un sac en plastique à la main. L’inconnu s’avance vers eux et lance : « You should marry that man. » Ils se marient en octobre en France.
Alain Finkielkraut : « Je lui répète sans arrêt que si je ne l’avais pas rencontrée, je serais un clochard. Toute ma vie tient à ce hasard. Je n’aurais pas pu aimer quelqu’un d’autre. Elle me fait des listes de noms de femmes pour me prouver le contraire. Mais, non. » Aujourd’hui, Sylvie Topaloff a 70 ans et Alain Finkielkraut, 74 ans. Aucun des deux ne partage la vision d’un amour passionné devenant tempéré avec l’âge. Ils vieilliront ensemble, mais pas au coin du feu. Ils prônent l’intensité. On ne peut se comprendre l’un sans l’autre.
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